Aristote, fils du médecin Nicômaque, fut un observateur incomparable et un législateur universel. Instruit de tout ce qui s'était produit avant lui dans les sciences et dans les lettres,il dressa l'inventaire de toutes les acquisitions, rendit justice à ses prédécesseurs et à ses contemporains, porta l'ordre et la lumière dans l'encyclopédie des connaissances jusque-là très confuses, appliqua son génie, fortifié par de profondes méditations et par des recherches personnelles, à définir et à classer, et il arriva à former un corps de doctrine qui embrasse la physique, la logique, la métaphysique, la morale, l'histoire naturelle, l'anatomie générale et comparative, la physiologie humaine, la politique, la poétique, la rhétorique, en un mot tout, ce qui est du ressort de l'esprit, hormis les mathématiques.

 

Son disciple Alexandre conquit l'Orient, et lui conquit le monde des intelligences, sur lequel il régna durant dix-huit siècles.

Il n'y a point d'exemple dans les annales de l'esprit humain d'une souveraineté aussi longue, d'une domination aussi universelle, et l'on peut ajouter, aussi légitime.

Ce Macédonien de la ville de Stagire, dans la Chalcidique, est peut-être le plus illustre, représentant de notre espèce. Son nom glorieux entre tous n'a jamais été obscurci, même durant l'interminable éclipse du moyen âge.

Ce maître des maîtres, les médecins lé revendiquent à, bon droit; et parce qu'il avait appris de son père tout ce qu’un médecin peut enseigner à son fils, et parce que ses écrits, qui témoignent de connaissances médicales très solides et très étendues, abondent en considérations et en recherches qui ont prodigieusement élargi la science de l'homme physique et moral. Nous vivons encore d'Aristote en philosophie c'est lui qui a donné la meilleure théorie du mécanisme de la pensée et des passions; c'est lui qui, par l'étude comparative des plantes et des animaux, à ou le premier l'idée d'une série organique et de l'échelle des êtres vivants c'est lui encore qui a deviné, pressenti, entrevu les fonctions du cerveau et du cœur, et qui a préparé la découverte tardive de la circulation dû sang, en affirmant que cet organe est le point de départ et l'aboutissant de tous les systèmes de vaisseaux sanguins. C'est de lui qu'on peut dire avec le poète comique, que rien de ce qui touche l'homme n'est resté étranger à son insatiable curiosité: Platon admirait avec épouvante ce disciple, qu'il surnomma l'intelligence, et dont la doctrine positive devait faire échec pendant trois siècles et plus aux imaginations séduisantes et dangereuses de son maitre.

Ce n'est pas ici le lieu de recommencer le parallèle entre Platon et Aristote. Ces deux hommes différaient absolument par les principes, par les méthodes, par le naturel de leurs études et par les aptitudes et les tendances de leur esprit. Aristote était né pour la science, il en avait le goût et le génie tandis que les écrits de Platon, et en particulier ceux qui touchent à la science, sont manifestement anti-scientifiques. Le Timée, par exemple, qui représente une sorte d'encyclopédie, est plus digne d'un Chinois ou d'un Indou que d'un Grec contemporain de Socrate. Il est vrai que ce bonhomme si malin et si fin, avec ce sens droit et pratique qui sut résister aux hallucinations, et avec cette fermeté qui lui fit braver simplement une mort injuste, avait arraché la philosophie aux philosophes naturalistes, à la suite desquels vinrent les sophistes il la réduisit à la morale et à la dialectique, c'est-à-dire à l'art de se conduire bien et de raisonner juste. Ce sage, uniquement préoccupé de la cité et des devoirs du citoyen, ne s'inquiéta point de la nature et des lois naturelles, dont la connaissance lui semblait chose peu nécessaire.

De là l'infériorité de tous les systèmes issus de l'école socratique. Ils eurent tous une cosmogonie et une physiologie fantastiques et faute du contrepoids salutaire des connaissances positives, ils s'égarèrent, même sur le terrain de la morale, abusant du raisonnement jusqu'à compromettre et déshonorer la raison. C'est ainsi que, par leurs disputes subtiles et leurs arguments captieux, ils préparèrent l'avènement d'un idéal qui emporta l'homme dans les espaces, et le jeta pour bien des siècles hors de la réalité, disons mieux, hors de la nature et de l'humanité.

Telles furent les conséquences de l'interprétation étroite du fameux précepte « Connais-toi toi-même, qu'un poète stoïcien devait traduire ainsi: « Ne cherche point hors de toi, maxime égoïste et mesquine, plus digne d'un moine que d'un sage. Comment le monde n'eût-il pas dévié, reniant ainsi la nature et la loi naturelle ? Pascal ne savait pas si bien dire contre sa propre thèse, quand il s'écriait avec son éloquence abrupte « L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait-la bête. » Un médecin espagnol du XVI siècle, que les préjugés ne gênaient guère, a dit encore plus énergiquement « Ces bonnes âmes que le vulgaire appelle anges du ciel, ne sont que des ânes sur la terre. »

Voir les choses telles qu'elles sont, et constater les rapports qui constituent des lois et des principes, voilà en peu de mots toute la philosophie.

Cette philosophie positive et réelle germa et se développa sur le sol fécond de la Grèce et l'on a vu avec quels succès les premiers investigateurs du monde organique, et au premier rang Hippocrate et Aristote, s'illustrèrent par la culture de cette plante merveilleuse. On a vu aussi que le contraire de la philosophie, ce qui en est la négation, avec la sophistique et la rhétorique, poussa aussi dans ce champ fertile, comme l'ivraie et la folle avoine, parmi le bon grain.

C'est dans ces circonstances que s'ouvrit l'école encyclopédique d'Alexandrie. Tant qu'elle resta dans la tradition scientifique des maitres, sa prospérité fut éclatante. En mathématiques, en physique, en mécanique, en astronomie, en cosmographie, de même qu'en grammaire et en philologie, elle produisit des inventeurs, des savants et des critiques tout à fait supérieurs, et même des écrivains et des poètes très distingués.

D’après histoire de la médecine de J. –M. Guardia

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