Le développement du péritoine est extrêmement complexe : nous n’en présenterons ici qu’une étude élémentaire, insistant sur les points qui permettent de comprendre telle ou telle disposition anatomique du péritoine adulte, mais sacrifiant parfois, pour rendre l’exposé plus facile à suivre, la description de certains détails.
Avant de commencer à décrire l’évolution du péritoine, il nous faut montrer de façon précise la disposition initiale de cette séreuse et indiquer une fois pour toutes les processus généraux de son développement, montrer en un mot quelles sont les lois générales de l’évolution du péritoine.
Origine et disposition initiale du péritoine
Nous rappellerons que l’embryon constitue à l’un de ses tout premiers stades une sorte de vésicule creuse (sac blasto-dermique) dont la paroi est formée par une assise de cellules, qui constitue la membrane blastodermique.
Origine du péritoine.
A, vésicule blastodermique. — B, formation de la gastrula. — C, coupe transversale suivant la ligne XX de B. 1, feuillet blastodermique. — 2, entoderme.
Le blastoderme s’invagine en un point dans sa propre cavité, c’est le stade gastrula, que la figure B et C, représente en coupes longitudinale et transversale. L’embryon a dès lors la forme d’un double sac : le sac externe, blasto-derme primitif, prend le nom d’ectoderme, le sac invaginé, contenu dans le précédent, s’appellera l’entoderme.
Constitution du mésoderme et du cœlome.
A, évaginations latérales de l’entoderme. — B, individualisation du cœlome.
1, ectoderme. — 2, entoderme. — 3, 3, sacs cœlomiques. — 4, somatopleure. — 5, splanchnopleure. — 6, cavité entérique.
Deux évaginations latérales de l’entoderme, visibles sur la figure, vont constituer un troisième feuillet ou mésoderme interposé aux deux] autres, et tapissant bientôt presque toute la surface intérieure de l’ectoderme et de l’entoderme.
Le mésoderme limite une cavité, le cœlome, tapissée par une membrane qui revêt d’une part l’entoderme, c’est la splanchnopleure ou membrane viscérale (5) ; d’autre part, l’ectoderme, c’est la somatopleure ou membrane pariétale (4). On reconnaîtra dans la disposition du cœlome la future cavité péritonéale et dans la splanchnopleure et la somatopleure les futurs feuillets viscéral et pariétal de la séreuse. L’entoderme constitue T ébauche du tube digestif.
Les deux sacs cœlomiques ne se fusionnent pas l’un à l’autre en arrière de l’intestin, du côté dorsal : ils rencontrent les vaisseaux destinés à l’intestin et s’adossent l’un à Schéma du mésentère primitif vu sur une l’autre au niveau de ces vaisseaux. L’intestin
Schéma du mésentère primitif vu sur une coupe sagittale.
1,1, mésentère dorsal. — 2, intestin primitif. — 3, canal omphalo-mésentérique. — 4, pédicule allantoïdien. —5, mésentère ventral. — 6, ébauche du foie. — 7, ébauche du pancréas.
a, extrémité céphalique. — b, extrémité caudale. — d, face dorsale.
est ainsi réuni à la paroi dorsale de l’embryon par une lame que tapisse sur ses deux faces le mésoderme et qui contient dans son épaisseur les vaisseaux du tube digestif : c’est le mésentère primitif ou mésentère dorsal. Sur une coupe sagittale (1, 1), on s’aperçoit que le mésentère dorsal s’étend d’une extrémité à l’autre du tube digestif, de la région céphalique à la région caudale.
En avant, du côté ventral, les deux sacs cœlomiques ne se rejoignent pas partout : ils s’accolent en certains points, notamment au-dessus de la future région ombilicale, pour constituer un mésentère ventral (5).
Les premières ébauches du foie et du pancréas sont des évaginations du tube digestif et bourgeonnent : l’ébauche hépatique entre les deux feuillets du mésentère ventral, l’ébauche pancréatique entre les deux lames du mésentère dorsal.
Plus près de l’extrémité caudale, le tube digestif laisse échapper vers l’ombilic deux formations : le canal omphalo-mésentérique destiné à disparaître (3), et le pédicule allantoidien, amorce de la future vessie. Dans cette région il n’y a qu’un mésentère dorsal, mais celui-ci, incurvé dans la région caudale, vient se prolonger jusque sur l’allantoïde : c’est l’ébauche du péritoine urinaire (Voy. plus loin).
Séparation de la cavité pleuropéricardique d’avec le péritoine
A ce stade, rien ne sépare la portion du cœlome qui avoisine les ébauches cardiaques et pulmonaires de celle qui entoure le futur tube digestif abdominal. Mais rapidement deux bourgeons vont se former, l’un à partir de la paroi dorsale, l’autre à partir de la paroi ventrale, au-dessus de l’ébauche hépatique : ce sont les ébauches du diaphragme. Leur fusion va diviser le cœlome en deux parties : cavité pleuropéricardique, au-dessus du diaphragme, cavité péritonéale, au-dessous. La disposition du péritoine est alors celle de la figure, qu’il importe d’avoir présente à l’esprit pour comprendre l’évolution ultérieure du péri-
Séparation du péritoine d’avec la cavité pleuropéricardique. Disposition initiale du péritoine.
1, 1, mésentère dorsal. — 2, intestin primitif. — 3, canal omphalo-mésentérique. —— 4, pédicule allantoïdien. — 5, mésentère ventral — 6, ébauche du foie. — 7, ébauche du pancréas. — 8, diaphragme primitif. — 9, cœur.
a, extrémité céphalique. — b, extrémité caudale. — d, face dorsale.
toine viscéral. Nous donnerons au schéma 11 le nom de disposition initiale du péritoine, et nous ferons partir de là les descriptions du péritoine digestif et du péritoine génito-urinaire.
Processus généraux d’évolution du péritoine
De patientes recherches ont peu à peu mis au point le mécanisme d’évolution du péritoine. Outre les noms de His, Langer, Toldt, Farabeuf, Pérignon, Brachet, il faudrait citer d’innombrables auteurs. Les travaux modernes ont permis de dégager quelques faits essentiels qui paraissent diriger cette évolution d’un bout à l’autre et que nous devons rappeler ici.
Rôle, du développement des viscères dans l'évolution du péritoine
Le péritoine viscéral enveloppe le tube digestif et ses glandes annexes ; au niveau des mésos, il se continue avec le feuillet pariétal en tapissant les vaisseaux qui se rendent aux viscères. Mais ces organes vont s’accroître, changer de forme, changer même de situation, et le
Vaisseaux directeurs du péritoine. Coupe sagittale d’un embryon (Schématique).
Ao., aorte. — Cœ., tronc cœliaque, avec : A. h., artère hépatique. — A. c., artère coronaire. — A. s., artère splénique. — M. S., mésentérique supérieure. — M. I., mésentérique inférieure. — S. M., sacrée moyenne. — P. d. paroi dorsale. — P. v., paroi ventrale. — Omb., ombilic. — Més. d., mésentère dorsal. — Més. V., mésentère ventral. — Més C., mésentère commun. — D., diaphragme.
1, œsophage. — 2, estomac. — 3, foie. — 4, intestin grêle. — 5, gros intestin. — 6, cloaque. — 7, pédicule allantoïdien. — 8, canal omphalo-mésentérique. — 9, grande cavité péritonéale.
péritoine va fidèlement se plier à toutes les exigences de ces transformations. La tunique péritonéale des viscères s’accroît parallèlement à leur augmentation de volume ; les mésos s’allongent, se plissent, se tordent, pour permettre leurs changements de position.
Accroissement des viscères
Le péritoine forme partie intégrante de certains viscères, tels que le foie. A mesure que les viscères augmentent de volume, leur tunique péritonéale, qui leur adhère intimement, s’accroît en surface par multiplication de ses cellules épithéliales.
Changements morphologiques des viscères
Certains viscères changent de forme considérablement au cours de leur évolution. Ces changements se font par accroissement inégal des divers points de leur surface. L’estomac, par exemple, est primitivement un tube de calibre uniforme ; l’une de ses parois, la future grande courbure, s’accroît beaucoup plus vite que la paroi opposée, ébauche de la petite courbure. Ainsi les parois * gastriques s’incurvent, et peu à peu l’estomac prend sa forme définitive. La tunique péritonéale épouse fidèlement ces changements morphologiques.
Changements de situation des viscères
Certains organes augmentent de volume très rapidement et occupent dans l’abdomen une place prépondérante : ils repoussent les autres viscères ; et ainsi la situation primitive des organes les uns par rapport aux autres et par rapport aux parois abdominales se modifie du tout au tout. Le péritoine qui les enveloppe et qui, par l’intermédiaire des mésos, se continue avec le péritoine pariétal, subit de ce chef des remaniements importants. Le point d’attache des mésos à la paroi, leur racine, ne peut varier sensiblement, mais leur point d’attache sur les viscères doit se modifier. C’est ainsi que l’allongement énorme de l’intestin grêle, qui contraint cet organe à se pelotonner en de multiples circonvolutions, oblige le bord viscéral du méso à se plisser à la manière des volants d’une jupe. Les déplacements des organes peuvent aussi entraîner la torsion de leur méso ; comme conséquence de cette torsion, nous constatons que la face du méso qui répondait primitivement à droite regarde en haut (torsion de 45°) et même à gauche (torsion de 90°). Des changements d’orientation se produisent ainsi tout le long du méso de l’intestin primitif (mésogastre, méso-duodénum, mésentère, mésocôlon...).
Le sens et l’étendue des déplacements des mésos paraissent souvent conditionnés par l’évolution des vaisseaux qu’ils contiennent : plusieurs de ces vaisseaux jouent ainsi un rôle de repères capitaux dans l’évolution du péritoine. On leur donne le nom de vaisseaux directeurs du péritoine (tronc cœliaque, artère mésentérique supérieure, artère mésentérique inférieure).
Rôle du péritoine dans l’évolution des viscères
Il ne faudrait pas croire que le péritoine demeure entièrement passif, subissant, sans l’influencer, l’évolution des viscères. Le péritoine possède en certains points une capacité propre d’accroissement et d’évolution : il peut, en s’invaginant entre certains organes, pousser des prolongements diverticulaires. Tel le diverticule qui, à un moment donné, apparaîtra derrière l’estomac sous le nom de poche hépato-entérique et constituera progressivement l’arrière-cavité des épiploons.
D’autre part, le péritoine est capable de fixer et de rendre définitive, à une certaine phase de l’évolution, la disposition des organes. Cette fixation se réalise par un processus très particulier, mis en évidence par Langer (1862) et surtout par Toldt (1879) : le processus d’accolement ou de coalescence. Voici en quoi consiste ce processus : deux surfaces séreuses en contact, et dénuées de mobilité l’une par rapport à l’autre, se fusionnent. Leurs épithéliums disparaissent, leurs tissus conjonctifs sous-épithéliaux se soudent en une lame unique, le fascia d’accolement. Un organe primitivement mobile dans la cavité péritonéale peut ainsi s’accoler à la paroi et paraître situé derrière le péritoine pariétal. Soit en A un organe muni d’un méso. Une face de ce méso et la face correspondante de l’organe en question, la face droite par exemple, vont s’appliquer sur le péritoine pariétal. Leur péritoine viscéral se fusionne alors avec le péritoine pariétal et forme un fascia d’accolement. Le péritoine viscéral de la face gauche semble donc passer devant l’organe et se continuer directement avec le péritoine pariétal, sous lequel l’organe paraît désormais situé.
Processus d’accolement.
A, disposition primitive. — B, disposition définitive.
1, méso primitif. — 1', méso secondaire. — 2, intestin. — 3, péritoine pariétal. — 4, accotement. — 5, racine primaire. — 6, racine secondaire. — Ao., aorte.
Les fascias d’accolement demeurent parfois assez lâches pour qu’on puisse les dédoubler : ce sont alors des plans de clivage naturels, et ce que nous avons dit de leur origine laisse comprendre que ces plans de clivage sont avasculaires. Ces données sont précieuses pour le chirurgien, car elles permettent d’attirer hors de la cavité abdominale certains organes qui, en apparence, sont fixés solidement à la paroi abdominale postérieure. Si nous incisons le péritoine le long du bord externe de l’organe étudié il y a quelques instants, nous pourrons pénétrer dans ce plan de clivage constitué par son fascia d’accolement ; il nous sera donc possible de détacher de la paroi abdominale le méso qui en était devenu solidaire et rendre à cet organe, avec la disposition embryonnaire de son méso, sa mobilité primitive (manœuvre du décollement de Quénu et Duval). Au point de vue de la facilité de leur décollement, Pierre Descomps a classé en trois catégories les fascias d’accolement : fascias, alvéolaire, lacunaire et lamelleux.
Les processus d’accolement sont très variables dans leur étendue et réalisent une infinité de dispositions qu’il nous est impossible d’envisager ici. La plus importante de ces dispositions est le déplacement de la racine d'un méso. Le méso primitif d’un organe a une racine sagittale, médiane, placée devant l’aorte. Supposons un accolement incomplet fixant une partie du méso à la paroi postérieure et laissant subsister le reste. Non seulement le méso sera devenu plus court, mais son point d’attache à la paroi se sera déplacé ; il possédera, à la place de sa racine primitive, médiane, une racine dite secondaire, plus ou moins éloignée de la ligne médiane. Si l’accolement a partout la même étendue, cette racine secondaire sera verticale, parallèle à la racine primaire. Si l’accolement est inégal, par exemple de plus en plus marqué de haut en bas, la racine secondaire deviendra oblique. Si, en même temps, le méso a subi une rotation, une torsion sur lui-même, la racine secondaire pourra même être transversale.
Il peut se faire aussi qu’entre deux surfaces d’accolement persiste une surface plus ou moins étendue où l’accolement fait défaut. A ce niveau, le péritoine pariétal s’enfonce en cul-de-sac : cette disposition est à l’origine d’un grand nombre de fossettes péritonéales.
Fossette par défaut d’accolement. In., intestin.
1, péritoine accolé. — 1', accolement. — 2, fossette par défaut d’accolement.
Tandis qu’un défaut d’accolement peut créer des fossettes péritonéales, un processus de coalescence peut au contraire combler tel ou tel diverticule du péritoine. C’est ainsi que l’arrière-cavité des épiploons, très étendue à un certain moment du développement, se réduit par coalescence de quelques-uns de ses prolongements. C’est ainsi que le cul-de-sac de Douglas, qui descend d’abord au-devant du rectum jusqu’au voisinage du périnée, se comble plus tard partiellement à son point déclive.
Ces processus généraux du développement du péritoine expliquent, le grand nombre d'anomalies ou de variations qu’on peut rencontrer dans la disposition du péritoine chez l’adulte : l’apparition ou la disparition de telle ou telle fossette, les degrés divers dans la fixité de tel ou tel organe résultent presque toujours de l’exagération ou inversement de l’arrêt prématuré d’un processus d’accolement.
Réduction de la profondeur d’un cul-de-sac ornent do l’arrêt prématuré d’un par accolement.
A, disposition primitive. — B, disposition secondaire.
Simultanéité de divers processus d’évolution du péritoine
Un dernier fait important est à signaler : les divers processus d’accroissement, de torsion, de déplacement, de coalescence évoluent simultanément. On dit parfois que les processus d’inégal accroissement et les principaux déplacements d’organes ont lieu surtout pendant les trois premiers mois de la vie intra-utérine, tandis que les accolements fixent la topographie définitive surtout pendant les derniers mois. Cette conception est en réalité schématique ; elle leste vraie seulement dans l’ensemble ; elle est fausse dans les détails. L’évolution du péritoine procédé de la combinaison de ces différents processus. Seule la difficulté de leur étude oblige a les séparer et à scinder leur description en chapitres successifs.