Œsophage
Étendu du pharynx à l'estomac, l'œsophage occupe successivement le cou, la poitrine et la partie la-plus élevée de l'abdomen. Il serait donc logique, dans un traite d'anatomie topographique, de décrire chacune de ces parties en même temps que la région où elle se trouve située. Mais il y a ici dans cette manière de faire un réel inconvénient certaines notions générales sur l'œsophage, telles que sa longueur, sa direction, son calibre, ne peuvent être scindées. D'ailleurs la portion réellement chirurgicale de l'œsophage est la portion cervicale, et, comme cette portion occupe la région sous-hyoïdienne, il m'a semblé rationnel de placer l'étude du canal tout entier à la suite de celle de ta trachée et du corps thyroïde, de le considérer lui-même comme une sorte de région. L'œsophage est un conduit musculo-membraneux aplati qui fait suite au pharynx et se termine à l'estomac, au niveau du cardia.
Il commence au niveau du bord inférieur du cartilage cricoïde, et dans l'attitude normale de la tête cette origine répond au corps de la sixième vertèbre cervicale. J'ai déjà dit, en étudiant le pharynx, que cette origine était séparée de l'arcade dentaire supérieure par une longueur de i5 centimètres. C'est donc sans y avoir réfléchi que quelques auteurs se sont demandé si on pouvait atteindre avec le doigt la limite supérieure de l'œsophage.
La fin de l'œsophage correspond à la onzième vertèbre dorsale.
Longueur
Pour avoir la longueur de la portion corticale, il faut la mesurer du bord inférieur du cartilage cricoïde à la fourchette du sternum ou à un plan horizontal passant par la fourchette, plan correspondant lui-même en général a la deuxième vertèbre dorsale. Cette longueur est très-variable suivant les su- jets, et je renvoie le lecteur aux mensurations que j'ai données en étudiant la trachée-artère, les portions cervicales de la trachée et de l'œsophage ayant nécessairement la même longueur. Chez l'homme adulte, la distance entre le cartilage cricoïde et la fourchette du sternum a varié de 4,5 à 8,5 centimètres, et la taille de ces deux sujets ne différait que de 3 millimètres.
La longueur totale de l'œsophage est d'environ 25 centimètres. En ajoutant les 15 centimètres qui séparent son origine de l'arcade dentaire supérieure, on voit qu'un cathéter œsophagien devra présenter une longueur d’environ 50 centimètres.
Direction
Situé à son origine sur la ligne médiane, l'œsophage traverse le diaphragme à gauche de la ligne médiane. Sa direction générale est donc oblique de haut en bas et de droite à gauche, mais au point de vue du cathétérisme on peut ne pas se préoccuper de cette légère obliquité et considérer le conduit comme vertical.
L'œsophage, devant traverser la partie gauche du diaphragme, se porte tout de suite dans cette direction, c'est-à-dire à gauche, mais, arrivé au niveau de la troisième vertèbre dorsale, il rencontre la crosse de l'aorte, qui l'oblige à dévier un peu de sa route et à se porter légèrement à droite, puis il reprend sa direction à gauche. Il résulte delà que l'œsophage présente deux inflexions latérales, l'une supérieure, à concavité dirigée à droite l'autre inférieure, beaucoup plus longue, à concavité dirigée n gauche. En pénétrant dans le thorax, l'œsophage se porte très-légèrement en arrière, mais il ne s'applique pas aux vertèbres, comme l'ont dit à tort quelques auteurs, en sorte que, loin de suivre la courbure de la colonne dorsale, il est presque rectiligne.
Les inflexions latérales et antéro-postérieures sont assez légères pour n'opposer aucun obstacle au cathétérisme de l'œsophage sain, mais dans les cas de rétrécissement organique avec ramollissement des parois elles peuvent favoriser les fausses routes, d'ailleurs assez fréquentes.
Calibre
Le calibre de l'œsophage est un des points les plus importants de l'étude de ce conduit. D'après mes conseils, il fut étudié avec le plus grand soin en 1874 par le Dr Mouton, dont les conclusions m'ont paru exactes. Il importait beaucoup pour la pratique du cathétérisme œsophagien de résoudre les deux questions suivantes Quel est le calibre normal, physiologique, de l'œsophage? Quelles dimensions peut-il acquérir par la distension?
Pour répondre à la première, M. Mouton moula l'œsophage en coulant du plâtre par l'estomac, tous les organes du thorax et du cou étant en place, procédé infiniment préférable à celui qui consiste à mesurer l'œsophage après l'avoir préalablement isolé des parties voisines. On voit qu'il existe trois points rétrécis : l'un à l'origine de l'œsophage, le second à 7 centimètres environ au-dessous de cette origine, dans le point où le conduit se dévie à droite, le troisième à sa terminaison. Dans ces trois points, M. Mouton a trouvé 14 millimètres. Il faut toutefois remarquer que le rétrécissement inférieur ne dépend pas des tu- niques œsophagiennes elles-mêmes, mais de la compression exercée par les fibres musculaires du diaphragme à travers lesquelles passe le conduit comme dans un véritable canal, si bien que, celles-ci enlevées, le rétrécissement disparaît. En raison de l'étroitesse de l'œsophage à son origine, les corps étrangers s'y arrêtent fréquemment et séjournent alors en réalité dans le pharynx. Ils s'arrêtent également un peu au-dessous de la fourchette du sternum, au niveau de la première inflexion latérale, dans le point où l'œsophage quitte la ligne médiane pour se porter à droite. Cette déviation, avons-nous vu, est due à ce que la crosse de l'aorte abandonne le sternum pour se porter à gauche et en arrière au niveau de la quatrième dorsale. Il en résulte que l'aorte est en rapport à cet endroit avec un point de l'œsophage déjà rétréci normalement. Or, un anévrysme de cette portion du vaisseau pourra diminuer encore le calibre œsophagien, produire de la dysphagie et faire croire à un rétrécissement M'a: de l'œsophage. On devra toujours avoir présents à l'esprit les cas d'hémorragie foudroyante succédant à un cathétérisme pratiqué dans ces conditions. Les corps étrangers arrêtés en ce point pourront aussi à la longue ulcérer les parois de l'œsophage et consécutivement l'aorte elle-même.
Quant au rétrécissement inférieur ou cardiaque, il ne paraît pas s'opposer au passage des corps étrangers qui pénètrent généralement dans l'estomac quand ils ont franchi les deux premiers.
C'est au niveau de ces trois points rétrécis du tube œsophagien qu'on observe le plus ordinairement les rétrécissements de cet organe, surtout ceux qui sont cicatriciels, parce que, sans doute, les liquides corrosifs introduits dans l'œsophage y séjournent un peu plus longtemps.
Je n'ai pas à faire ici l'histoire si intéressante des corps étrangers de l'œsophage, je dirai seulement qu'il faut, autant que possible, les extraire par les voies naturelles soit avec la pince de Hunter, celle de Mathieu, le panier de de Graefe ou l'instrument de Weiss (faisceaux de soie disposés en forme de parasol) si on n'y peut réussir, on tentera de les repousser dans l'estomac avec une tige en baleine, garnie d'une éponge. M. le Dr Gautier, de Genève, a récemment eu l'idée ingénieuse d'employer un pessaire Gariel qu'il a introduit sur un mandrin dans l'œsophage. Par plusieurs insufflations successives il a distendu le canal œsophagien et dégagé un débris d'os qui est tombé dans l'estomac. La dernière ressource serait l'œsophagotomie externe.
Il faut savoir que le malade peut conserver pendant un certain temps l'impression produite par le corps étranger alors que celui-ci n'est plus dans l'œsophage. Par contre, un corps étranger plat, à arêtes vives, tel qu'une portion d'os, par exemple, peut s'accrocher dans les parois œsophagiennes, s'y placer de champ, s'y dissimuler, produire de graves accidents tout en permettant la déglutition et sans que le cathétérisme lui-même dénote sa présence. On pourrait recourir dans ces cas à l'explorateur doué d'une sensibilité exquise imaginé par M. Colin. Quelle dimension peut acquérir l'œsophage par une distension brusque ? Je dis distension brusque parce que nous savons combien l'œsophage est susceptible de se dis- tendre Ma longue. Il se forme quelquefois au-dessus d’un rétrécissement une véritable poche capable de contenir assez d'aliments pour abuser te malade et lui faire espérer qu'ils ont pénétré dans l’estomac.
Le conduit ne se distend pas uniformément, ainsi que les mensurations précédentes le faisaient déjà prévoir. Les deux points rétrécis supérieurs atteignent 18 et 19 millimètres, la partie inférieure mesure 25 millimètres, et la partie moyenne de l'œsophage, qui est la plus extensible, arrive jusqu'à 33 millimètres de diamètre.
De ces données anatomiques il résulte 1° Dans un œsophage normal, on devra toujours pouvoir introduire une olive de 14 millimètres de diamètre au minimum; si on n'y réussit pas, c'est qu'il existe un rétrécissement. 2° Lorsque, par la dilatation, on aura atteint le calibre de 18 millimètres, on s'arrêtera. Les olives doivent donc être construites d'après ces indications. Est-ce à dire que l'œsophage ne puisse laisser passer des corps mesurant plus de 18 millimètres de diamètre ? Non, sans doute, car les mensurations qui précèdent ont été prises sur un œsophage distendu suivant toute sa circonférence. Cela est donc vrai seulement pour les corps arrondis, se moulant sur l'œsophage. Il n'en sera pas de même d'un corps aplati qui dilatera le canal suivant un seul de ses diamètres, et principalement suivant le diamètre transversal. L'œsophage, en effet, limité en avant parle cricoïde et la trachée, en arrière par la colonne vertébrale, résiste dans le sens du diamètre antéro-postérieur, tandis qu'il n'existe pas d'obstacles à sa distension latérale. C'est sur cette disposition anatomique exacte que M. le Dr Chassagny s'est basé pour proposer en 1873 à la Société de chirurgie de remplacer les boules olivâtres par des boules aplaties. Le cathétérisme de l'œsophage ne trouve guère d'indication que chez l'adulte. On peut cependant être appelé à le pratiquer chez des nouveau-nés, lorsqu'il existe une malformation de l'œsophage, par exemple dans ce but M. le Dr Mou- ton en a recherché les dimensions, et il a trouvé que la distance qui sépare le cardia du bord gingival supérieur est de 17 centimètres chez le nouveau-né. Il évalue à 4 millimètres le calibre de l'œsophage dans ses parties les plus étroites.
L'histoire du cathétérisme et des rétrécissements de l'œsophage ne peut se comprendre, si l'on n'a préalablement une idée exacte des rapports de ce con- duit. Ceux-ci différent au cou, au thorax et à l'abdomen.